SOIXANTE ANS DEJA
Une banale inondation dans le sous sol de maison et me voilà en train de déménager des tonnes de livres entassés dans des
étagères, c’est fou ce qu’on peux entreposer au fil du temps.
Bien voilà une pile qui vient d e s’écrouler , mais il n’y a pas que des livres , des photos viennent de s’envoler pour
atterrir à mes pieds.
Je reconnais les vieilles reliures de cuir des albums de photos de mon enfance que ma mère remplissait avec soin de
photos en noir et blanc prises avec son appareil Kodak à soufflet, témoin de tant de scènes de notre vie.
J’extraie les albums des tas de livres qui jonchent le sol et je me met à feuilleter les pages recouvertes de papier de soie
et de photos sépias.
Assis par terre je découvre avec surprise l’univers de mon enfance , soixante ans ont passé déjà , le monde a changé moi aussi
bien sur .
Nous vivions au troisième étage d’un grand appartement situé dans le 17 e arrondissement de Paris non loin du boulevard
Berthier et nous étions encore dans cette période intermédiaire qui a suivi la dernière guerre ou tout devenait possible .
Pour ceux qui ont encore la mémoire des sketchs de Robert Lamoureux du genre Papa maman la bonne et moi ,
nous évoluions dans un monde de traditions de valeur inchangées depuis des années.
Les meubles étaient anciens et confortables , les armoires de campagne venaient de chez ma grand-mère, ainsi que la bassinoire en
cuivre accrochée au mur du salon.
Le salon était composé de gros fauteuils crapauds en cuir vert profonds comme des tombes
et la table de salon avait la taille d’une table normale , rien de détonnant dans cet univers feutré patiné par les
ans.
La cuisine avec ses casseroles de cuivre ne dépareillait pas de l’ensemble , une fois par semaine on montait de la
cave la lessiveuse en zinc qui bouillonnait sur la gazinière, le linge était lavé dans l’évier avec une planche à laver en bois cranté patinée par les ans.
Le dessous de l’évier servait de garde manger et on entreposait le beurre dans une beurrier plein d’eau pour qu’il ne fonde
pas trop vite. En été on allait acheter des blocs de glace au marchand ambulant qui passait en bas de l’immeuble avec sa carriole à cheval.
Ma mère qui avait fait dans sa jeunesse l’école des arts ménagers allait chaque année au salon pour voir les
nouveautés.
Je feuilletais l’album photo qui me racontais mon histoire et au détour d’une page je découvris la publicité de ce fameux
salon qui fut le déclencheur de tout.
Une photo sur papier glacé montrait une ménagère souriante avec un appareil bizarre à la main , le couleurs étaient vives et
pimpantes, une nouvelle ère était arrivée.
Le Dimanche suivant ma mère nous amena au salon des arts ménagers , caverne d’ALI BABA où nous allions découvrir au fil
des stands de démonstration animés par des vendeurs
accrocheurs au parlé haut en couleur le dernier cri du modernisme.
Ce qui nous frappa le plus ce fut la débauche de couleurs, des verts éclatant côtoyaient des oranges flamboyants , ou des jaunes
citrons , nous découvrîmes des appareils inconnus de nous dont nous n’envisagions même pas l’usage.
Là le présentateur montrait comment éplucher plusieurs kilos de pommes de terre sans fatigue grâce à son épluche patate
automatique , une sorte de grosse boite ronde dans laquelle
des lames tranchantes pelaient allègrement .
Tout était mis en avant pour démontrer que la ménagère libérée de ses contraintes ménagères allait enfin pouvoir vivre sa vie de
femme.
C’est ainsi qu’au fil des stands , un peu abasourdi nous découvrions des mixer aux grands bras battant des
crèmes fouettés dans des bols oranges ou verts ou encore la cocote minute.
avec son sifflet a vapeur.
Même les aspirateurs que nous connaissions comme des objets lourds à traîner et laids devenaient balai , parés de
couleurs vives légers brillants de tous leurs chromes ils invitaient
la ménagère à faire son ménage en chantant.
De retour à la maison les bras chargés de prospectus de couleur ventant le nouvel électro ménager ce fut le déclencheur d’une
nouvelle période.
Quelques temps après Maman avait réussi à convaincre ¨Papa de faire l’acquisition d’un réfrigérateur , on disait un frigidaire ,
bien qu ce soit le nom de la marque , un énorme engin bedonnant qui trouva sa place dans la chambre de mes parents la cuisine étant trop petite.
Le matin mon père devait moudre son café dans un appareil mural qui nous réveillait de son bourdonnement de perceuse mélangé à
l’odeur du café frais et de celle plus acre de la première cigarette.
L’album en main je redécouvrit le premier moulin a café nouvelle génération offert à mon père pour la fête des pères, la photo
en noir et blanc ne rendait pas sa réalité mais je me rappelais fort bien son corps trapu en plastique rouge et son capot blanc transparent où l’on voyait tournoyer le café
moulu.
Maman comme toutes les ménagères de cette époque était tombée raide dingue de tout ce qui sortait comme nouveautés, elle suivait
dans des magazines la tendance en matière de mobilier ce qui ne manqua pas s de changer notre façon de vivre.
Il faut dire que pour un changement ce fut un changement, un nouveau matériau plus abordable et plus pratique avait
apparu le formica .
Fini les meubles de cuisine en bois difficiles à entretenir ce nouveau revêtement en plastifiant les surfaces et en leur
donnant la possibilité d’être déclinées en des couleurs vives révolutionnait complètement l’univers de la ménagère.
Tout prenait un air de fête , les tables , les chaises, les tabourets, les meubles de surcroît a un prix abordable
permettait à toutes les classes populaires d’accéder à un nouveau confort.
Je reviens un instant dans le présent pour me faire la réflexion qu’avec la mode du vintage soixante ans après c’est le
phénomène inverse qui se produit , les objets chinés de cette époque nostalgie oblige sont devenus hors de prix.
Je commence à ranger tous le livres tombés à terre, quand je découvre la pochette d’un quarante cinq tours de rock
le premier que j’ai écouté en boucle sur mon premier électrophone TEPAZ.
Il faut dire qu’à cette époque les tourne disque étaient reliés au poste de radio ce qui ne leur donnait pas
d’autonomie.
L’électrophone Tepaz en s’affranchissant du poste et l’avènement des quarante cinq tours avait révolutionné le
monde de la musique populaire.
Avec l’arrivée du formica la décoration intérieure aspirait au changement on délaissait les valeurs anciennes des meubles de
famille pour des meubles en bois blanc aux lignes plus épurées, les fauteuils et les chaises cherchaient à épouser les formes du corps de nouveaux matériaux proches du plastique
permettaient de jouer sur des formes et des couleurs différentes.
A la maison vint alors la grande révolution moderniste.
La première victime fut la table du salon, amputée de ses pieds en bois d’origine , ma mère ne garda que le plateau qui fut
entièrement décapé et blanchi à l’eau oxygénée et au papier de verre, les pieds furent remplacés par des tubes en fer forgés laqués en noir , la table basse était née.
Les tables de nuit de ma grand-mère suivirent le même chemin , poncées et revernies en bois clair elles prenaient l’air du
temps.
Les années qui suivirent confirmèrent la tendance , la maison de ma grand-mère venue suite à son décès mes parents firent construire
un de ces cubes dont les constructeurs d e l’époque épris de modernisme avaient le secret, des lignes épurées des pièces carrées .
Alors l’esprit créatif de ma mère se déchaîna , les murs prirent les couleurs à la mode le fond du salon couleur tango donna
bien du fil a retordre au peintre, la couleur ne devait pas être ni ocre ni brique , mais d’un bel orangé vif que l’on appelait Tango.
Les autres murs étaient gris souris et blanc, la cuisine en formica bien sur était d’un jaune paille ou tranchait les
ustensiles de cuisine bleu canard ou orange vif.
Les quelques meubles qui avaient été gardés remis au goût du jour avaient été décapés pour leur donner une
apparence plus moderne .
Le monde ne voyait plus que par le modernisme, on dirait design a l’heure actuelle, mais une mode en chasse une autre.
Que reste t’il de cette explosion après soixante ans déjà, un goût pour le Vintage pour certains une fuite en avant pour
d’autres pour toujours en perpétuel mouvement.